Photo by Matheus Bertelli from Pexels

 

Qu’est-ce qu’un rêve ?

Le rêve est une activité mentale qui se produit pendant le sommeil. Le souvenir de rêve varie beaucoup d’un dormeur à l’autre : certaines personnes rapportent très peu de rêves, voire pensent qu’elles ne rêvent pas, alors que d’autres indiquent faire plusieurs rêves par nuit. En moyenne, il est rapporté en population normale, un à deux rêves par semaine.
Le rêve comprend plusieurs phases : une production sensorielle (visuelle, auditive, olfactive, tactile…) qui est mise en mémoire et transformée pour devenir un récit. Ce que l’on appelle le rêve résulte donc de différents processus cérébraux et fait intervenir des fonctions cognitives complexes telles que la mémoire. L’étude du rêve avec des méthodes scientifiques est récente et indissociable de l’étude du sommeil : la découverte du sommeil paradoxal dans les années 50  a été une majeure de la recherche sur les rêves. Dans les laboratoires d’enregistrement du sommeil, l’observation de certains troubles associés à des rêves intenses, tels que les terreurs nocturnes ou le somnambulisme, ou encore les rêves agités appelés « troubles du comportement en sommeil paradoxal », a également apporté des connaissances importantes durant ces vingt dernières années, sur les mécanismes du sommeil et du rêve. Les chercheurs se sont aussi dotés de questionnaires et de grilles d’analyse pour étudier les récits de rêves dans la population générale et de véritables « banques de rêves » regroupant des milliers de récits nocturnes leur permettent d’accéder à des échantillons de récit variés et nombreux ; la plus connue est la dream bank du psychologue américain, William Domhorff. Enfin, les laboratoires de recherche disposent désormais d’outils d’imagerie fonctionnelle cérébrale qui apportent de plus en plus de connaissances sur des processus mentaux pendant le sommeil, dont la formation du rêve fait partie.
Actuellement ce n’est pas tant l’interprétation du sens des rêves qui anime le débat scientifique, que la question des fonctions du rêve et de ses relations avec la conscience.

Quand rêve-t-on ?

Avec la découverte du sommeil paradoxal, qui comprend une forte activité électrique et des mouvements oculaires rapides, on a longtemps pensé que ce stade de sommeil était le contenant du rêve ; d’autant que les personnes réveillées pendant le sommeil paradoxal rapportent un souvenir de rêve dans 80 à 90% des cas. Les études ont ensuite montré que nous avons la capacité de rêver durant toute la nuit mais que nos rêves n’ont pas la même intensité, ni la même nature au cours des différents stades du sommeil. Lors du sommeil lent, ce sont surtout des pensées qui viennent à l’esprit ou des rêves factuels, peu imaginatifs, plus proches des préoccupations quotidiennes que de constructions fantasmagoriques. Au cours du sommeil paradoxal, l’activité mentale apparaît plus intense avec des récits de rêves plus nombreux, plus scénarisés, plus longs, plus riches en émotions, et de contenu souvent bizarre ou marquant.
L’hypothèse selon laquelle le rêve se construirait de façon instantanée au moment du réveil est contredite par l’observation dans les laboratoires de sommeil de certains troubles tels que le somnambulisme ou les rêves agités pendant le sommeil paradoxal appelés « troubles du comportement en sommeil paradoxal » ; l’enregistrement vidéo a montré que des comportements oniriques pouvaient durer de longues minutes et être en concordance avec le récit de rêve fait par le sujet à son réveil. Le rêve n’est donc pas seulement une construction instantanée liée au réveil. Grâce à des techniques d’enregistrement précises (électroencéphalogramme de haute densité), les périodes de production du rêve sont recherchées à partir des variations du niveau d’activité des ondes du cerveau pendant le sommeil.

Une drôle d’histoire !

En 1861, Alfred MAURY, écrivain, avocat, bibliothécaire adjoint de l’Institut National, membre de la Société médico-psychologique, écrivit un livre sur le sommeil et les rêves*. Dans cet ouvrage, il relate un rêve célèbre qui est en faveur de l’instantanéité de la construction du rêve : « J’étais un peu indisposé, et me trouvais couché dans ma chambre, ayant ma mère à mon chevet. Je rêve de la Terreur ; j’assiste à des scènes de massacre, je comparais devant le tribunal révolutionnaire, je vois Robespierre, Marat, Fouquier-Tinville, toutes les plus vilaines figures de cette époque terrible ; je discute avec eux ; enfin, après bien des événements que je ne me rappelle qu’imparfaitement, je suis jugé, condamné à mort, conduit en charrette, au milieu d’un concours** immense, sur la place de la Révolution ; je monte sur l’échafaud ; l’exécuteur me lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe ; je sens ma tête se séparer de mon tronc ; je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, et je me sens sur le cou la flèche de mon lit qui s’était subitement détachée, et était tombée sur mes vertèbres cervicales, à la façon du couteau d’une guillotine. Cela avait eu lieu à l’instant, ainsi que ma mère me le confirma, et cependant c’était cette sensation externe que j’avais prise, comme dans le cas cité plus haut, pour point de départ d’un rêve où tant de faits s’étaient succédé ».

*L.-F. Alfred Maury, Le sommeil et les rêves, Librairie académique Didier & Cie, Paris, 1861.
**Rencontre de nombreuses personnes dans un même lieu.

De quoi rêve-t-on ?

Les chercheurs utilisent des grilles et des échelles pour analyser le contenu des rêves. Quand un recueil systématique des rêves est effectué, les rêves banals touchant des thèmes de la vie quotidienne et des activités ordinaires ou concrètes sont de loin les plus fréquents, alors que les rêves marquants (récit longs, colorés, chargés affectivement) ou typiques et communs à beaucoup de personnes (rêve de nudité, de perte de dents) ne représentent qu’un faible pourcentage. Les rêves ont le plus souvent une composante visuelle, ensuite vient la composante auditive, et beaucoup plus rarement, olfactive ou gustative. Une référence aux événements vécus le jour précédent est particulièrement fréquente. Quand un vécu émotionnel est présent, ce sont les émotions négatives, anxiété ou peur, qui dominent.

Des différences de contenu ont été retrouvées en fonction du sexe, de l’âge, de la culture des populations étudiées ; ainsi il a pu être montré que les hommes relatent plus souvent que les femmes des scènes d’agression physique, ou rêvent de scènes en extérieur et mettent souvent en présence des interactions sociales ; alors que les femmes rapportent davantage des rêves en lien avec leur intérieur ou des lieux familiers. Il existe aussi des différences en fonction des cultures ou de l’environnement sociétal : aux États-Unis, les populations étudiées relatent davantage de rêves d’agression qu’au Canada, ou en Suisse.

Il est assez courant d’incorporer dans nos rêves des événement intercurrents tels qu’une sonnerie de réveil, la sirène d’une ambulance ou la chute d’un objet qui viennent s’intégrer dans le scénario du rêve ; cela témoigne du fait que pendant le sommeil des informations sensorielles peuvent nous parvenir et être traitées par le cerveau.

À quoi sert le rêve ?

De tous temps, le phénomène du rêve a passionné et donné lieu à des interprétations ou des théories en fonction des cultures, des croyances ou des connaissances du moment. Ainsi, selon les époques, le rêve prend une connotation et un sens différents. Dans les civilisations anciennes et primitives, il a une fonction divinatoire qui permet à l’homme d’être en contact avec Dieu. Le rêve, message divin, est utilisé pour prendre des décisions importantes pour l’individu ou pour la communauté. Avec Sigmund Freud et sa théorie sur l’inconscient, le rêve a une fonction hallucinatoire qui permet l’expression de désirs inconscients car le sujet peut aller jusqu’au bout de ses pulsions sans se mettre en danger ; le rêve est alors un gardien du sommeil et le cauchemar (rêve angoissant qui réveille) l’échec de cette fonction protectrice.

À la suite de la découverte du sommeil paradoxal, Michel Jouvet avance l’idée que le rêve correspond à des épisodes de reprogrammation du cerveau afin de permettre à l’individu de conserver son individualité, sa personnalité, malgré les agressions et les acquisitions apportées par l’environnement. Il assimile le rêve au sommeil paradoxal, période dont l’activité si particulière serait le moment privilégié où l’intégrité des circuits neuronaux est vérifiée.
Plus récemment, la fréquence des émotions négatives dans le rêve (poursuite, échec, retard dans nos rendez-vous) a fait avancer et étudier l’hypothèse d’une fonction de régulation émotionnelle des rêves ; à l’égard des événements quotidiens de la vie, le rêve aurait pour fonction de nous exercer à faire face aux situations difficiles ou dangereuses ; ou encore d’expérimenter des situations émotionnelles potentiellement dangereuses. Ces hypothèses sont confortées par les études d’imagerie cérébrale qui ont montré une corrélation entre le sommeil paradoxal, stade de sommeil riche en rêves, et l’activation de régions cérébrales impliquées dans la régulation de l’anxiété.

Rêve-t-on toutes les nuits ?

Toutes les nuits, on fait un à plusieurs rêves ! Mais leur souvenir est fugace. Au réveil, à peine le pied posé par terre, le rêve s’efface, et ne reviendra éventuellement que par bribes au cours de la journée. En revanche, l’on peut s’entraîner à se souvenir de ses rêves. Il suffit de s’interroger au réveil, en se posant la question « est-ce que j’ai rêvé ? », et noter ce dont on se souvient sur un petit carnet posé sur sa table de nuit. Les premières nuits, les souvenirs sont assez imprécis. Au bout de quelques jours, l’on devient plus performant. Certaines situations favorisent le souvenir des rêves : tout moment de la vie un peu bousculé, un accident ou un traumatisme, une période d’interrogations sur soi et son avenir. La psychanalyse a utilisé les rêves comme matériel de travail sur l’inconscient.

Et le rêve chez l’enfant ?

Le sommeil du nouveau-né comporte une forte proportion de sommeil paradoxal, associé à des mimiques faciales expressives (sourire, moue) qui font supposer que le bébé rêve, mais il est impossible de l’affirmer car parler de rêve suppose qu’il soit possible d’en faire le récit. Et donc rêver, au sens adulte du mot, sous-entend un niveau de développement mental permettant d’avoir accès à la pensée symbolique. Le tout début de cette phase n’apparaît chez l’enfant que vers 18 mois. Encore faut-il, pour comprendre ce dont rêve l’enfant, qu’il soit capable de le raconter, ce qui intervient encore plus tard, vers 3 ans environ.
Selon les travaux de David Foulkes, il serait difficile de parler de rêve avant 5 ans. Si on réveille un enfant en sommeil paradoxal vers cet âge-là, moins d’une fois sur trois il raconte un rêve fait d’images très statiques, mettant en scène le plus souvent des animaux. L’enfant n’est presque jamais impliqué émotionnellement dans son rêve, il se positionne plutôt comme un simple spectateur. Seuls les rêves du matin seraient un peu plus riches en émotions.
Entre 5 et 7 ans, l’enfant participe plus activement  à son rêve, les images deviennent davantage mobiles mais sont très directement liées aux événements de la journée, à l’état physique qu’il ressent (faim, fatigue), aux livres ou dessins animés qu’il a vus.
Entre 7 et 9 ans, l’enfant devient encore plus impliqué dans son rêve, l’affectivité est beaucoup plus importante, et cela, d’autant plus que son développement intellectuel est avancé.

Pour d’autres travaux qui se sont basés sur des récits de rêves d’enfants en dehors du contexte d’études de laboratoires, le constat a été fait d’une présence plus importante d’animaux que de personnages. Leur contenu est plus fourni en agressions, plus extravagant (imaginatif), leur fin est souvent magique et  davantage plaisante que celle des rêves d’adultes. La longueur du récit de ces rêves d’enfants est plus courte que celle des adultes et reflète les possibilités cognitives de l’enfant. Les récits de rêves de l’adolescent sont plus longs que ceux de l’enfant mais plus courts que ceux de l’adulte. Ils sont caractérisés par l’abondance des interactions amicales entre l’adolescent et ses pairs.